samedi 1 juin 2013

Comment j'ai Souhaité la Mort de mon Fils (XXIII)

Il y a des fois où la réalité dépasse toutes les fictions que l'on aurait pu imaginer. Il y a peut-être pire, ce n'est peut-être pas hors du commun, mais ceci est notre histoire, notre cauchemar.

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Chronique 23 : Une Nouvelle Maison pour Nicolas

Lundi 27 mai – Mercredi 29 mai

Comme si quelqu’un avait finalement entendu nos prières. Lundi maman apprend de la travailleuse sociale que le CMR (Centre Montérégie de Réadaptation) accepte de prendre en charge Nicolas. Il aura donc une famille d’accueil. Maman se sent soulagée. Elle et la travailleuse sociale rient et sont de bonne humeur. Les infirmières se demandent ce qui ce passe. Mais en même temps, maman se sent mal-à-l’aise de se sentir soulagée. Cette nouvelle annonce le début d’une nouvelle étape. Nous pourrons commencer tranquillement à retrouver une vie normale. Mais d’un autre côté, elle ressent aussi un vide, une tristesse de bientôt dire au-revoir à un être si fragile, qui n’a jamais demandé à être dans l’état qu’il est. Un être qu’elle a bercé, cajolé, aimé et dont elle doit se séparer.

Maman m’appelle au travail pour m’annoncer la nouvelle. Pour ma part, je suis aussi un peu soulagé, mais mon premier réflexe est de ressentir un petit vide qui se creuse dans mon cœur. Pourtant, je ne le vois pas aussi souvent que maman. C’est peut-être justement une sorte de culpabilité de ne pas l’avoir assez vu, de ne pas m’en avoir assez occupé. Mais je sais aussi que j’aurais eu beaucoup de misère à en faire vraiment plus. Je commence tranquillement à voir le bon côté des choses, les semaines et fins de semaine moins chargées, la possibilité de prendre un peu plus de temps pour nous et l’opportunité de commencer à se détacher tranquillement en vue de l’adoption.

Le lendemain, nous avons un peu plus de détails. Ce n’est pas une famille d’accueil en tant que tel qui recevra Nicolas. C’est un centre à Longueuil qui se nomme Maison Desjardins. Affiliée au CMR, ce centre prend en charge 5-6 enfants seulement qui présentent de lourds handicaps physiques et par le fait même, plus souvent qu’autrement, un handicap mental. Nous prenons un rendez-vous pour le lendemain afin d’aller visiter ce centre.

Le soir même, nous recevons un message de l’Association Emmanuel qui nous dit que le dossier avance. Nous nous questionnons à savoir ce que veut dire ‘avance’, mais nous ne creusons pas le sujet.

Comble de malchance, nous apprenons aussi que le mari de la gardienne d’Anabelle doit aller d’urgence à l’hôpital et donc la garderie sera vraisemblablement fermée le lendemain matin. Nous devons trouver un plan B pour Anabelle. Mamie ne peut pas garder. Un plan C alors? Malheureusement, nous n’en trouvons pas. Nous nous résignons à amener notre fille avec nous à la maison Desjardins en nous questionnant à savoir si c’est vraiment une bonne idée.

Le lendemain, c’est moi qui vais m’occuper de Nicolas le matin. En arrivant, il boit un biberon. Il est réveillé. C’est plutôt rare que je le vois de la sorte. Je continue à lui donner son boire et il fait quelque chose qu’il n’a jamais fait jusqu’à présent. Il tient mon petit doigt dans sa main et serre. Ça me rappelle des souvenirs d’Anabelle. Elle faisait souvent cela. Par la suite, je joue un peu avec lui. Je trouve que sa préhension s’est améliorée, mais il n’est toujours pas intéressé par ce que je lui dis ou parce que je lui montre. Il finit par s’endormir et moi je l’imite.

En après-midi, nous nous rendons à la maison Desjardins. Les responsables sont d’une gentillesse exemplaire. Elles prennent le temps de nous écouter et de nous expliquer le fonctionnement de la maison et de nous faire visiter. Nous voyons la future grande chambre de Nicolas et son futur lit temporaire. Nous voyons qu’ils ont une grande terrasse, une belle balançoire et une piscine creusée. Un endroit idéal pour passer de beaux moments à l’extérieur. Le fonctionnement est assez simple. Il y a toujours une infirmière sur place et il y a toujours quelqu’un pour s’occuper des enfants. Plusieurs spécialistes comme des pédiatres, des ergothérapeutes et même des éducateurs scolaires sont présents à leur tour pour stimuler le plus possible les enfants selon leur plan d’intervention indiviudalisé. Je crois que Nicolas y sera bien et beaucoup plus stimulé. Je n’ai rien à enlever aux infirmières de l’hôpital, elles s’en occupent de façon extraordinaire, mais je crois sincèrement qu’il est temps que Nicolas voit autre chose que quatre murs d’hôpital.

Pendant la visite, Anabelle me demande : ‘Est-ce que c’est la nouvelle famille de mon petit frère?’ Ça me surprend toujours de voir à quel point elle absorbe tout ce qui se passe et qu’elle comprend, à sa manière, tout ce qui se passe à propos de Nicolas. Ça me fend le cœur de voir à quel point elle se soucis de lui et à quelle point elle a de l’empathie pour les autres. Un enfant du centre pleurait et elle voulait savoir pourquoi. Elle est allée le voir et lui a fait un câlin. Mon cœur pleurait de voir à quel point elle aurait été géniale avec son petit frère.

C’était le côté positif du centre. Le côté moins rose, ce sont les enfants qui y vivent. Ce sont clairement des enfants très hypothéqués par la vie. La plupart d’entre eux ont une stomie gastrique pour être gavé, car ils ne mangent pas par la bouche. Ils sont tous en chaise roulante. Ils n’ont pas l’air malheureux du tout. Ce fut un choc pour maman. Nicolas avait l’habitude d’être le cas le plus lourd de son environnement. Il deviendra là-bas en fait le cas le plus léger côté soins. Ça nous laisse imaginer ce que Nicolas peut devenir. La probabilité existe. De mon côté ça me frappe un peu moins, je suis comme convaincu que Nicolas n’est pas comme ça. Qu’il est juste là de façon temporaire le temps de trouver une famille d’adoption. Mais je fais du déni. Avec tout ce qu’il a vécu jusqu’à présent, les chances qu’il soit un cas lourd sont très bonnes.

Ils ont très hâte de l’accueillir là-bas. Ils n’ont pas souvent l’occasion de s’occuper d’un aussi petit bébé. Nicolas produit cet effet. Tout le monde veut s’en occuper. C’est un bébé après-tout.
 
De retour à la maison, maman a beaucoup pleuré. Un ressac d’émotions. Le choc de réaliser pour vrai ce que Nicolas peut devenir. L’anxiété de quitter un lieu qui nous est maintenant familier pour s’adapter à un autre. Ce soir-là, nous parlons beaucoup maman et moi. Nous questionnons nos motivations, le bien fondé de nos décisions. Est-ce qu’on veut toujours aller dans cette direction. Nous convenons que l’adoption reste pour nous encore la meilleure solution. Avoir une famille, un père et une mère pour qui il serait la prunelle de leurs yeux, voilà ce que ça prend pour Nicolas. Il ne doit pas être un parmi tant d’autre comme lui, mais il doit trouver sa place comme l’être spécial qu’il est.  S’il peut avoir cette chance, on se doit de la lui donner.  

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