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Chronique 17 : Le Temps
Lundi 1er Avril – Vendredi 5 avril
Le matin du premier avril, pour la
première fois, nous assistons à sa première prise de médicament de la journée.
Quand nous voyons l’infirmière arriver avec sa poignée de seringues et les injecter
en rafale à Nicolas, nous en restons abasourdis. Nous savions qu’il en prenait
beaucoup, mais en le voyant, on se rend compte à quel point ce petit être est
dans une situation insoutenable. Ça commence presque à ressembler à de
l’acharnement thérapeutique. Au moins, Nicolas est stable pour le moment, ils
servent donc à quelque chose.
Avant de repartir, nous rencontrons
le médecin de Nicolas qui nous explique encore une fois la situation. Selon
lui, Nicolas semble nous montrer dans quelle direction il s’en va. Ça nous
confirme ce que nous pensions déjà. Il nous demande si on doit aider notre fils en
donnant de l’air lors d’éventuelles convulsions, le temps qu’il se stabilise à
nouveau. Dans l’optique où sa condition se détériore, ça ne ferait qu’éterniser
l’agonie.
Nous le quittons alors pour aller
rejoindre mamie, papi, mon frère et Anabelle, car nous passons ce lundi de
Pâques au Biodôme et à l’Insectarium. C’est supposément pour nous changer
les idées, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.
Mardi, c’est le retour à la
routine. Moi au travail et maman à l’hôpital. Rien de nouveau ne se passe.
Nicolas est toujours stable. Même chose pour mercredi. Nous commençons à nous
demander si Nicolas est vraiment embarqué dans une spirale dégradante ou bien
s'il est maintenant vraiment stable. Il respire bien tout seul et il ne désature
plus avec son troisième anticonvulsivant.
Jeudi, je retourne à l’hôpital pour
prendre mes prises de sang et pour passer la journée avec maman et Nicolas. Ce
dernier passe un test de radiofluoroscopie ou quelque chose du genre. Bref, ça
permet de voir en direct le passage du lait dans la gorge. L’ergothérapeute veut s’assurer qu’il
n’y a pas de liquide qui passe tout droit dans ses voies respiratoires sans qu'il ne réagisse. Nicolas nous fait une grosse désaturation dès les
premières gorgées, mais il se ressaisit tout seul. Par la suite, le test
confirme que le lait liquide dévie en petites quantités dans ses voies
respiratoires et qu’il serait donc imprudent de lui donner du lait ordinaire.
Par contre, si le lait est plus épais, il ne semble pas y avoir de problèmes.
Nous pourrons donc recommencer à donner le biberon à Nicolas en petites
quantités à partir du lendemain.
Nous tentons aussi de parler à
l’infirmière de soutien aux familles, car nous avons vraiment beaucoup de
questions. Autant lundi et mardi nous commencions à nous demander quel genre de
funérailles nous devrions faire pour lui, autant aujourd’hui, cette réalité
nous semble vraiment lointaine. Nous ne savons vraiment plus sur quel pied
danser et c’est cette incertitude qui nous tue. C’est comme si à chaque
semaine, nous faisions un pas en avant et un pas en arrière. Toute cette
situation stagne. Rien ne progresse. Nous sommes toujours dans l’attente.
Le vendredi, maman tente de donner
le biberon de lait épaissis à Nicolas, sans grand succès. Il en prend quelque
peu, mais on dirait que le lait est trop épais pour sortir de la tétine.
Nicolas refait aussi son test audiologique. Cette fois-ci le résultat semble
démontrer qu’il n’entend pas des deux oreilles. L’infirmière nous dit que ça
pourrait seulement être un bouchon ou un peu de liquide qui obstrue les canaux.
Le test sera donc à refaire une autre journée, mais il devra fort probablement
être suivi par un audiologiste. (Quelle surprise!)
On nous annonce maintenant ce genre
de nouvelles et nous le recevons sans réelle réaction émotive. C’est l’effet du
temps qui passe, ce temps qui banalise ce qui était auparavant inconcevable.
Depuis le début on nous répète (et on se répète nous-même) de laisser le temps
faire les choses. Il nous aidera à y voir plus clair, à accepter la situation,
à cheminer. Tout ça est vrai. Nous sommes plus en mesure de relativiser la
situation. Notre cheminement s’est fait petit à petit, nos pensées sont plus
rationnelles et un peu moins émotives. Nous nous connaissons plus, nous
connaissons davantage Nicolas. Mais le temps a aussi un effet pernicieux. Il
laisse languir les choses et il peut se permettre d’attendre la moindre
faiblesse pour éroder même la plus solide des fondations, pour effriter la base
de nos certitudes, pour immiscer un doute. Le temps peut aussi avoir raison de
nous, de notre entourage et du lien qui nous unit. Il faut alors redoubler
d’ardeur avec une énergie qui nous manque cruellement pour s’assurer de pallier
ces faiblesses, en espérant que les dommages ne soient pas trop graves et
irréversibles.
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